skip to Main Content
1-800-987-654 admin@totalwptheme.com

Une fois de plus, je fais appel aux jumeaux pour donner une idée de !a vie chez Roure/Grasse au moment de mon arrivée dans les murs de 1’Avenue Pierre Sémard.

Deux témoignages :
– Une carrière chez Roure (Marc)
– Quand je rentre à l’Usine Roure (Gérard)

À moi, ensuite, de secouer ma mémoire et de me souvenir des moments marquants de ces dix années grassoises.

Une carrière chez Roure

« Quand on entre chez Roure, on meurt chez Roure », c’est ce que la rue m’a dit quand j’ai dit que je cherchais un logement pour habiter Grasse.

Cette formule traduisait assez bien la philosophie de cette entreprise et la réalité vécue par la plupart des membres du personnel.

En ce qui me concerne, j’ai intégré l’usine le 1er juillet 1963, alors qu’elle s’appelait encore : « Roure Bertrand fils et Justin Dupont ». En réalité, elle appartenait déjà au groupe Hoffman-Laroche, à la suite d’un accord tenu secret, selon lequel les deux frères François et Louis AMIC, les fils de Marie ROURE, avaient vendu leurs parts à l’Entreprise pharmaceutique helvète.

J’aurais dû entrer dans le secteur de la recherche, selon ce qui avait été prévu, dans les premiers contacts, mais le responsable de la production, Charles Bernard, est décédé. Monsieur François Amic m’a alors demandé de commencer le 1er juillet, comme adjoint du fils, Pierre Bernard, qui a pris le poste de son père.

Dans la période que j’ai connue, l’effectif de l’entreprise, sur le site grassois, a varié, tous personnels confondus, de 163 à 450 dans les grandes années, pour retomber à 260- 280, quand j’ai pris ma retraite.

Sur le plan social, dans cette période florissante, les vieilles méthodes étaient encore appliquées : outre les treize mois et demi de salaire et la gratification de fin d’année, on touchait, tous les trois mois, une participation au chiffre d’affaires, variable selon l’ancienneté de service.

Par ailleurs, la promotion dans les services combinait l’ancienneté et le mérite, en sorte qu’un employé, entré au plus bas de l’échelle, pouvait espérer finir comme chef de laboratoire, pour une femme, ou chef de service pour un homme.

A contrario, les catégories d’employés étaient bien déterminées et immédiatement perceptibles :

– en bleu, les ouvrières et ouvriers

– en gris, les chefs de service et agents de maîtrise

– en blanc, les ingénieurs et les cadres

Dans cette dernière catégorie, on distinguait soigneusement les ingénieurs qui portaient ce titre parce qu’ils sortaient d’une école (l’école de chimie de Marseille, en particulier) et les cadres venus de l’université, comme moi : bien que remplissant des fonctions d’ingénieur, on me présentait comme « collaborateur ».

En ce qui concerne la production, dont j’étais le responsable en second, elle a atteint, dans les décennies 70-80, des sommets, en dehors de la période du choc pétrolier 1973- 74.
Nous avons traité jusqu’à 100 tonnes de jasmin par an, 100 tonnes de mimosa, 70-80 tonnes de rose ! Nous étions devenus le plus gros producteur de produits naturels et étions à l’origine des parfums qui connaissaient le plus grand succès : Opium, L’Air du Temps, Loulou, Poison, Kouros …

Nous étions débordés par la taille trop petite des matériels existants, et, à certains moments, un embouteillage terrible se produisait, avec l’arrivée successive, à partir de février, du mimosa sauvage, du genet, des feuilles de violette, de la fleur d’oranger, de la rose, de l’œillet, du jasmin enfin, qui régnait en maître de juillet à octobre. Il faut ajouter que nous traitions aussi des matières premières sèches (mousses, ciste, patchouly … ), des herbes et des plantes (lavande, sauge sclarée, narcisse…) ou encore des racines (iris, costus…) .

A partir de 1978 je suis devenu responsable de quatre ateliers de ransformation et de quatre salles de mélanges :

– l’atelier d’extraction (les « hydres », en jargon du métier), absolument énorme,
– le distilloir
– l’atelier des absolues qui transforme les concrètes en produits solubles dans l’alcool.

-« l’usine B », atelier de transformation physico-chimique des produits, avec distillation fractionnée, « cracking » et interventions chimique et ou physique sur des produits naturels

– Les échantillons représentatifs des produits obtenus étaient stockés dans un réfrigérateur du Laboratoire de Contrôle, à température constante, véritable trésor qui contenait jusqu’à mille produits différents. Ils faisaient l’admiration et suscitaient l’envie des parfumeurs lorsqu’ils visitaient l’usine.

Quant aux salles de mélanges, il s’agissait de -la salle des Extraits (parfumerie)

-la salle des Essences
-la salle des Arômes Alimentaires

-la salle de Mélange des absolues,

au sein desquelles nous faisions des «communelles» des différents produits fabriqués ou achetés, ou carrément des parfums.

Le laboratoire de recherches était doté d’appareils de plus en plus sophistiqués (R.M.N, Chromatographes, Spectromètres … ).
Il y avait deux sites de l’entreprise : Grasse, mais aussi Argenteuil, spécialisé dans la chimie.

Roure ayant acheté en 1963 douze hectares de terrain au Plan de Grasse, il fut, un moment question de regrouper les deux sites sur cette implantation. Mais les « cadres parisiens » firent en sorte que le projet échoue. Il y eut toujours deux centres de recherches, l’un le L.R.T (laboratoire de recherche technique) à Argenteuil, l’autre le L.R.G. (laboratoire de recherche de Grasse), installé d’abord dans l’usine, puis dans un bâtiment tout neuf, construit à la Marigarde. A partir de 1968-69, le centre de recherche a embauché jusqu’à 49 personnes.

C’est dans ces laboratoires que furent créés de nouveaux produits baptisés «artessences» qui présentent la même composition chimique que les essences naturelles, mais qui reviennent donc moins cher. Pour les compositions parfumées
lorsqu’on introduisait 20% d’artessence dans 80% de naturel, on obtenait un parfum qui était sensiblement moins cher que s’il avait été à 100% naturel.

Mais, malgré ces progrès techniques, l’usine grassoise était condamnée par la conjonction de plusieurs facteurs :

– L’exiguïté des locaux et l’impossibilité de s’agrandir depuis l’échec du déplacement au Plan de Grasse.

– Le coût des fleurs et la difficulté de s’ en procurer à cause à la fois de la concurrence des autres parfumeries qui se disputaient les fournisseurs, et aussi de la disparition progressive des terres cultivées en fleurs, vendues à des promoteurs immobiliers.

– La stratégie fluctuante des dirigeants de l’Entreprise fait que l’Usine de Grasse n’a plus de directeur officiel à partir de 1988. La Présidence Direction Générale parisienne annonce alors le regroupement voulu par Hoffman-Laroche : après « Roure S.A », l’entreprise devient « Givaudan-Roure ».

Hoffmann Laroche considère alors qu’une marge bénéficiaire inférieure à 16% condamne l’usine. L’Usine de Grasse est vendue et Givaudan-Roure Grasse ferme ses portes à tout jamais. Parti à la retraite en avril 1994, j’ai eu la chance de ne pas assister au démantèlement final.

 

Quand je rentre à l’usine Roure le 1er juillet 1966,

on me place au Service Moyen Orient (M.O) et je suis dans « l’Aquarium », selon les humoristes de l’époque, derrière une verrière au bout de la terrasse qui donne sur l’arrière du bâtiment commercial, qui deviendra plus tard le dernier bureau de mon jumeau Marc Stagliano. Et surtout ancien fief de la Comptabilité qui a déménagé à l’étage bien avant les autres services.

Il faut savoir qu’alors tous les services commerciaux sont dans une même salle commune entre les bureaux sur estrade d’un côté de M. Carini, le père de Simone, fondé de pouvoir, qui signe tout le courrier, et de l’autre, de M. Benjamin Mazoyer-Lagrange qui le remplacera peu de temps après. Une simple banque, comme dans les compagnies d’assurances, les sépare d’un long couloir qui va du hall d’entrée du bâtiment administratif au bureau des derniers temps de M. Pierre Bernard. L’escalier qui descend à la Savonnerie des derniers temps est condamné et recouvert d’un plancher sur lequel sont les bureaux du service Japon de René Cavalier.

Dans le service M.O se trouve alors, sous l’autorité de M. Robert Venel, le voyageur, M. Arthur Burnham, un Anglais, Mme de Giron, et une autre secrétaire, Nicole Berthet – qui avait fini par faire un enfant sans s’en apercevoir – qui était ma secrétaire et François Lucas Moreillon qui vient d’entrer, un mois ou deux après moi, mais aussi Danielle Lions, stagiaire sténo dactylo. Je trône dans le coin et j’ai le vénérable bureau, le meuble, de M. Carles, Mister Nose, avec un rideau de bois coulissant qui se referme et que l’on peut verrouiller.

L’escalier qui descend à la Savonnerie-Parfumerie est juste en face et se trouve au voisinage du bureau verrière de Pierre Blaizot, le patron bis derrière Pierre Fabre, héritier de la famille Amic, dont le bureau est celui, en dernier, de M. François Weymuller. Ce bureau n’aura ensuite plus de verrière et constituera le bureau de la poste et de l’offset avec Clément Pellegrin à la manœuvre!

Ensuite, bien plus tard, quand les appartements privés du premier étage et aussi la grande salle en question, sont réaménagés en bureaux, nous descendons une demi- douzaine de mois à la cave (où on se gelait un tantinet et où on instaura ensuite un système d’archives avec des rayonnages coulissants) et nous avons avec nous, Jean- Pierre Mayenc, un nouveau voyageur, diplômé d’H.E.C, et un stagiaire du nom … de Michel Demarest.

Quand les bureaux sont enfin mis à notre disposition, nous montons à l’étage pour prendre celui du fond, à droite, qui entoure les vestiaires des filles, celui des messieurs est juste en face et jouxte le bureau de Robert Cassio avec son service Allemagne et Pays de l’Est avec comme secrétaires, entre autres, Maryse Raybaud et Mme Ortelli. Le service du Japon est juste avant le nôtre et le service France, de notre côté mais juste au sommet de l’escalier avec Mlle Cavalier comme chef. Il ne tardera pas à laisser la place à Madame Giugliaris
pour traverser le couloir avec Ginette Maccary, transférée du nôtre, pour remplacer Mlle Cavalier avec Marie-France Cotta comme secrétaire même si elle n’a pas encore épousé Claude Cotta.

Dans notre service il y a alors outre Ginette et Marie-France, en instance de divorce et maigre comme un clou, Lucas Moreillon, le Suisse, Peter Forcard, venu de chez Hoffmann-Laroche en stage et qui était sans doute une taupe suisse, mes deux secrétaire d’alors, Marie-Louise Thierry et Denise Cosimi, et le charmant Benjamin Mazoyer-Lagrange, qui ne voyage plus dans les Pays de l’Est, remplacé par Robert Cassio, et que l’on a nommé pompeusement fondé de ouvoir.

Au plus haut de l’escalier, si l’on tourne à gauche deux fois, on débouche sur la comptabilité avec M. Filstrof comme chef, et Maisonnave en second et Georges Lambert.

Au rez-de-chaussée, un immense bureau abrite d’un côté, le service Achats d’Honoré Cotta avec Michelle Montagnon, Marie Josée Barale et Xavier Roux. Il jouxte le bureau de Pierre Fabre et plus tard de François Weymuller et n’est séparé que par une cloison d’un autre très vaste bureau où l’on fixe les prix des échantillons et/ou livraisons demandés par les services commerciaux, il est dirigé par M. René Hook ou Hock, secondé par MM. Guy Robert et Henri Thuaire.

Derrière une cloison partielle et vitrée, il y a la secrétaire de Pierre Fabre, Jeanine X partie ensuite avec lui à Sainte Basile, et son aide Madame Michelle Ugolini. Elles se tenaient derrière cette verrière qui les séparait du bureau d’Honoré Cotta, et au bout de laquelle avait été installé le premier télex.

Il y a eu aussi très peu de temps M. André Arrignon, ex agent de Roure au Mexique, qui était revenu à Grasse et qui avait son bureau à la place de l’endroit où était à la fin le standard, celui de M. Venel se tenait juste derrière. Il était toujours tiré à quatre épingles et souvent en costume Prince de Galles. Un soir, Venel l’avait invité avec son épouse et la sienne au restaurant, mais chaque couple devait payer son écot, et le connaissant il l’avait observé attentivement à la fin du repas et ce « sémite » de Venel – il avait un certificat de baptême car à son faciès les Arabes tiquaient, et à l’époque pour voyager dans tes pays arabes, il fallait le fournir. Et il m’avait raconté cela le lendemain en me disant qu’il l’avait vu récupérer la facture pour se faire rembourser les quatre repas par Roure. Et de me regarder en me disant bras ballants: « Vous vous rendez compte Stagliano, comment peut-on fréquenter pareil personnage ? » J’en étais resté coi… comme lui, la veille.

Anecdote à la fois triste et amusante, quand j’arrive à 1er juillet 1966, c’est MM. Benjamin Mazoyer-Lagrange et Pierre Blaizot qui me reçoivent dans le bureau vitré du second. Puis Ben comme on l’appelle familièrement, le fondé de pouvoir, me présente ensuite dans tous les bureaux administratifs, comme un nouveau collaborateur, sans jamais dire que je suis le jumeau de Marc, entré chez Roure 3 ans auparavant jour pour jour. Or, Ben rentrait d’une dépression nerveuse sévère depuis quelque temps. Et certains ont dû penser en me voyant, sosie de celui qu’ils connaissaient depuis 3 ans, qu’il n’était décidément pas guéri. J’en ai même vu une – Michèle Montagnon – sortir précipitamment du bureau, pour aller pouffer de rire, à l’extérieur.

 
Back To Top